samedi 21 janvier 2012

Adieu à ce qui vient Pierre Cendors Finitude

Meilleure confirmation de l'année

Quitte à me répéter, encore un livre pour lequel il faut féliciter l'éditeur pour la beauté de l'objet, de la couverture dorée au motif vénitien à la qualité du papier et de l'impression, tout ici est réussite et s'accorde à merveille avec un texte dense et bref, porté par une langue singulière et puissante (j'avais adoré Engeland de Pierre Cendors, l'essai est ici confirmé).
Tout ici est tellement délicat que l'on n'ose pas mettre ses vilains mots pour en parler. Adieu à ce qui vient est entre le conte et la poésie, une sorte de rêverie vénitienne où un riche étranger débarque organisant des fêtes mémorables. Bientôt une femme apparaîtra, puis disparaîtra une autre la remplacera...
Impossible d'en dire davantage. On retrouve dans ce livre tout ce qu'on imagine de Venise, le goût pour les masques, les mystères, le jeu des ressemblances entre la représentation et la réalité, servi par un écrivain qui mériterait d'être davantage connu.
« Fortuno, as tu déjà vu le paradis ?
-Non.
- Tu te trompes.
Le peintre suivit le regard de l'étranger. Il vit les plafonds qu'éclairait le soleil de la lagune et compris tout. Ce fut son chef d'oeuvre. »
Toutefois si les fêtes s'enchainent, les souvenirs pèsent aussi dans ce décor, où un personnage apprendra bientôt à dire « adieu ce qui vient » pour le vivre enfin vraiment.
« Le jour, elle t'accompagne à chaque instant, comme ton souffle. Elle est encore là, la nuit, quand tu ne peux la voir. Elle est née en même temps que toi. Veille sur elle, c'est ton amie, recherche parfois sa compagnie, joue et aprle avec elle, car vous vivrez mieux ensemble que seules. C'est ta mort, mais tu peux l'appeler par un autre nom si tu le souhaites. »
Juste parfait.

Le livre blanc Rafael Horzon Editions Attila

MEILLLEUR DECOUVERTE 2011
D'abord félicitons les éditions Attila, le livre blanc est d'abord très très beau et élégant. Sur le papier (c'est le cas de le dire) le livre aurait pu me déplaire entre performance d'art contemporain et roman classique, il m'a pourtant emballé complètement. Drôle, intelligent, il est un peu le petit cousin berlinois du formidable roman de Jonhathan Lethem, Chronic City. Soit les aventures d'un jeune homme qui cherche à faire quelque chose de grand dans le Berlin d'après la chute du mur. Sauf qu'il découvre bientôt que tout a déjà été dit, et que ses projets ne réussissent pas vraiment, quand bien même il fait preuve d'une hallucinante fantaisie, créant un jour une université d'un genre nouveau, une galerie spécialisée dans les artistes contemporains nippons ou inventant le magasin de meubles qui ne vend qu'un seul modèle. Satire du monde de l'art, de l'expérimentation à tout va, le roman est aussi très drôle par le talent de Rafael Horzon à doser justement ses plaisanteries.. quand d'autres peuvent être lourds. « Et bien entendu, l'entreprise REDESIGNDEUTSCHLAND était l'incarnation quasi parfaite de la Nouvelle Réalité. Mais elle était d'environ neuf ou dix pour cent plus radicale et plus moderne que toute autre entreprise ayant jamais existé, elle ne rencontra jamais le succès commercial escompté. » « il [La troisième voie, un livre écrit par le narrateur] se vendit à dix exemplaires la première semaine, après quoi les ventes chutèrent dramatiquement » écrit le narrateur après qu'il a organisé une fête mémorable pour le lancement. Critique joyeuse de la société de spectacle qui est la nôtre, le livre blanc figure en très bonne place des découvertes de cette année. Il faut suivre les prochains travaux de Horzon.
(dans le livre, on trouve deux cahiers de photos réalisés par le narrateur censé illustrer le récit. Photos à la légende souvent absurde, il participe à la dimension parodique de ce premier roman venu d'Allemagne, qui n'est pas seulement le pays de la machine outil et d'Angela Merckel.

Le cas Sneijder Jean-Paul Dubois Editions de l'Olivier

Comme son titre l'indique, ce nouveau roman de JP Dubois s'intérese au cas Paul Sneijder, un enième avatar du personnage duboisienne, une sorte de looser monomaniaque passionné des choses mécaniques, aux passions singulières, profondément inadapté au monde, qui n'aime pas sa famille qui le lui rend bien, enfin entendons-nous qui n'aime pas ses enfants et sa femme, mais qui reste fidèle à ses parents sorte de modèle indépassable. 
Le Paul Sneijder en question est un survivant. IL est monté dans un ascenceur avec la fille qu'il a eu d'un premier mariage et avec lequel il a peu communiqué pour des raisons qui tiennent surtout à sa deuxième épouse. Il en sort vivant mais devient XXX (le fameux mot qui n'existe pas pour désigner le parent qui a perdu son enfant, signe dirons certains que cette situation est impossible à dire). A partir de là, il devient passionné par les ascenceurs, qu'il tient pour le fondement de la civilisation, collectionne anecdotes et savoirs encyclopédiques sur la question, s'éloigne de sa fille et de ses deux fils (des jumeaux), et trouve un temps une forme de salut en promenant des chiens dans un parc très chic de Montréal. Sans n'être jamais pesant ou cuistre, ces promenades sont pour le narrateur l'occasion de réflexions sur la part animale qui nous habite tous, même si en tant qu'espèce nous construisons des ascenseurs qui peuvent s'effondrer.. parabole de la catastrophe qui rappelle le lien entre la maîtrise technique du monde et la force de la nature ici incarnée par la loi de la gravitation. 
Ceux qui connaissent Jean-Paul Dubois y retrouverons aussi son humour habituel, très anglo saxon (ce n'est pas pour rien que j'ai connu Dubois dans une critique de Paperboy de Pete Dixter), son1 talent pour mener un récit et son grand savoir faire pour monter une scène ou des personnages (la femme adultère qui fait du poulet fermier chaque fois qu'elle voit son amant est un des plaisirs de ce roman qui n'en manque pas).
Seule différence : alors que pendant longtemps, Dubois a poursuivi les dentistes d'une sorte de vindicte. Ici ce sont les avocats fiscalistes (les deux jumeaux qui prennent le relais), quand la fille morte et aimée est dentiste.
Roman du temps qui passe, du regret, jamais acide ni complaisant, le cas Sneijder est salutaire dans une époque où « faire son dueil » est devenue une sorte de mantra. C'est le récit d'un deuil impossible, sans que rien ne soit tragique. Dubois est toujours très juste. "Vivre ensemble. c'était déjà impossible de coexister avec sa propre famille. la vie était un sport individuel. On pouvait mourir ensemble dans un ascenseur. Pas y vivre. supporte l'autre était toujours un supplice intime. Surveiller son territoire. Recalculer sans cesse. Pour le reste, les chiens chiaient. Et voilà tout."
Seule réserve : je tiens les accomodements raisonnables, le précéent ouvrage de J.P. Dubois, pour un très très grand roman. Celui là m'a semblé un cran au-dessous (la rumeur prétend qu'il voulait arrêter d'écrire). A le lire, ceux qui le connaissent retrouveront tout ce qui fait le plaisir de Dubois, ceux qui le découvriront, se réjouiront d'avoir un nouvel ami qui leur parle si justement de la vie telle qu'elle ne va pas. Pour ma part, j'ai retrouvé un vieux compagnon de vie, avec ce sentiment que l'on ressent parfois quand on a vécu des moments très forts avec quelqu'un et que le retrouvant quelques années après, la rencontre est un peu moins forte que dans le souvenir. Un problème de riche.. Foncez le lire.

Stéphane Hoffmann Les autos tamponeuses Albin Michel

Pour ceux qui comme moi ont plus de 40 ans, le roman de Stéphane Hoffman m'a rappelé un autre de Jacques Laurent (ce qui ne devrait pas déplaire à l'auteur), l'inconnu du temps qui passe, qui avait la même liberté formelle que celui là et une même qualité française. Dans les auto tamponeuses Je pense à la scène écrite sous forme de pièce de théâtre dans le dernier quart du roman, scène de comédie qui s'intercale dans le roman. Ou ce passage, où s'en prenant au principe de précaution, Hoffmann cite un extrait de Proust, y intercalant tous les messages de précaution qu'il faudrait y mettre aujourd'hui. Assez convenu dans sa critique, le passage garde un pouvoir comique.
Les autos tamponneuses sont pour le narrateur une métaphore du mariage. Sorti d'une grande école, il épouse une riche héritière, fille d'un homme d'affaires qui s'est fait tout seul et qui devient son ami. A partir de là, le mari et la femme vivront à distance, se croisant le week end. Le roman commence quand Pierre, le mari et narrateur, décide de partir en retraite, las des affaires, et revient s'installer aux côtés de sa femme. Comme on est chez les riches, à côté c'est dans une aile de la propriété du Golfe de Morbihan. Une idée qui ne plaît pas à la dame. Sur cette trame, se greffent quelques histoires secondaires qui sont l'occasion de railler la vie bourgeoise de province et de tirer au bazooka sur les uns et les autres. Parfois (rarement), Hoffmann émeut, quand Pierre et le fils du voisin partent en bateau. Antoine (le fils du voisin) était aussi l'ami d'Alain, le fils de Pierre mort dans un accident de bateau, ce qui donne de belles pages. A l'inverse, la fin sur le travail de deuil évoque un Paulo Coehlo pour Figaro Magazine : « Sauf qu'après la mort d'Alain, j'ai fait semblant. Le bonheur ,c'est n'est pas de ne pas avoir de problèmes ; le bonheur est de pouvoir résoudre les problèmes qu'on a ».
Autant le dire, l'intrigue n'intéresse pas Hoffmann. Car l'intrigue c'est en gros n'importe quoi, avec des coups de théâtre que Katherine Pancol n'oserait pas (le retournement final est ridicule ; on n'imagine pas mari et femme aussi étranger l'un à l'autre, sur le naufrage d'un mariage, mieux vaut lire le dernier roman de Benjamin Berton ; sans parler de l'intrigue secondaire digne d'un feuilleton d'été de tf1, le boucher du marché réussira-t-il à sauver son activité de la faillite ?).
Ce qui intéresse Hoffmann, c'est de distiller, par la bouche de son personnage, ses avis sur le temps moderne, le bonheur d'un cigare ou la cuisson réussie d'une viande. Un certain raffinement prévaut. Le monsieur n'est pas un progressiste, on sent son amour pour les Hussards qui firent les belles heures de la littérature des années 50. Quand son héros parle de notre époque ce n'est pas pour en dire du bien. Par moments on a l'impression d'être chez l'humoriste Laurent Gerra qui aime railler le nouveau cinéma et la nouvelle chanson française, aux idées forcément préconçues. « Paris est une capitale comme un travesti est une femme », note notre auteur, qui s'en prend aux « chanteurs à bonnets » ou encore aux actrices qui militent pour les droits de l'homme en signant des contrats avec de grands noms du luxe. C'est gênant quand on pense que l'auteur pense être iconoclaste et qu'il reprend les scies de l'humoriste le plus écouté de France, si on en croît les publicités de RTL. La première phrase du roman est emblématique de ce goût pour une certaine trivialité : « Bien que bordelais Jean Charles Lawton ne répugne pas aux concours de prouts. A cinquante ans bientôt c'est même l'idée qu'il se fait de bons moments entre amis. » On sent toute la force de la subversion que cette image a pour l'auteur.
A d'autres moments, il évoque plutôt la tradition du bon mot, à la Sacha Guitry et autres Tristan Bernard, qui réjouira les amateurs du genre (les fidèles auditeurs des grosses têtes pourront envoyer les citations, si Philippe Bouvard continue de proposer à ses sociétaires ce genre d'énigme). Le mariage est une source d'inspiration inépuisable « j'avais toujours considéré Hélène comme une plante d'appartement ; c'est-à-dire que je ne l'avais jamais considérée. Là je la regarde vivre. C'est plus que distrayant ; c'est fascinant » ou « dans un couple, il n'y a pas de place pour deux ».
Dans l'affreux jojo, il peut exceller, n'hésitant pas à y aller carrément comme dans cette description : « elle est de ces femmes péremptoires dont on se dit qu'elle sera fréquentable après son premier cancer, c'est-à-dire après qu'il lui sera arrivé quelque chose qui la fera douter d'elle même et s'agenouiller devant une pâquerette en balbutiant que la vie est merveilleuse. En attendant, elle est d'une assurance fatigante ».
Un certain goût pour la provocation qui l'amène à franchir les limites du tolérable, quand il prête à un des personnages, une aristocrate sur le retour, les propos suivants : «  Ainsi à une dame lui ayant confié, d'ailleurs modestement et comme en passant, que ses parents étaient morts à Auschwitz : « Hum ! Mais c'est très chic ça ! » avait-elle répondu, avant d'ajouter que si elle-même faisait la liste de sa parentèle disparue de mort violente depuis les croisades, on serait encore là demain : « il n'y a vraiment pas de quoi se vanter, ma chère ! » et elle lui avait tourné le dos laissant son interlocutrice interloquée. » (page 195)
Rire de tout mais pas avec n'importe qui, disait Desproges. Pour ma part, j'ai vu un rictus et entendu des ricanements.. et je n'ai pas du tout eu envie de rire. Sûrement contaminé par l'esprit de l'époque et par ce que Louis Pauwels, un autre humoriste incompris, appelait le « sida mental ». Tant mieux !

Monte Schulz Sur l'autre rive du Jourdain Phébus littérature étrangère

Je ne sais plus qui disait que dans l'amour le meilleur est la montée de l'escalier. Dans la lecture, il y a aussi pour moi quelque chose de comparable. Il y a des livres qu'on désire, qu'on se dit qu'on le lira quand celui en cours sera fini, des livres dont on se fait une joie de bientôt s'y plonger. Sur l'autre rive du Jourdain est de ceux-là. Une couverture élégante, une recommandation par un libraire ami avec lequel je ne suis pas souvent d'accord et un éditeur qui m'a souvent passionné, Phébus (mais c'est vrai c'était dans un autre temps, celui de Jean Paul Sicre, incroyable éditeur au nez creux et à la culture toujours juste). Reste une très belle couverture dessinée (j'aurai volontiers loué ici l'illsustrateur, mais je n'ai pas trouvé son nom)
Sur l'autre rive du Jourdain commence très bien. Soit la rencontre d'Alvin, un brave gars du Middle West qui n'a rien vu du monde et de Chester Burke un gangster psychopathe à la gachette facile. Le second va prendre le premier sous son aile et l'entraîner à sa suite. Alvin, tuberculeux au bord de la rechute, rencontre bientôt un troisième personnage : Rascal, un nain déshérité et savant, à la vie bien remplie si on en croît ses perpétuelles logorées, peuplées d'anecdotes évoquant une vie aux côtés des grands de l'époque...
A eux trois, ils traversent les Etats, montant des coups, semant « la terreur dans toute la région ». La quatrième de couverture évoque non sans raison le cinéma des frères Coen, pour le côté parodique et livre d'époque. On a vraiment l'impression d'être dans une machine à remonter le temps. Schulz a un talent certain pour raconter une scène, décrire une ville. Le récit est rondement mené, Alvin prenant peu à peu conscience de la galère dans laquelle il s'est embarqué. Régulièrement, confronté à des dilemmes, il convoque son expérience assez pauvre, qui se résume assez souvent à ce que disait la tante Truc et le cousin machin.
Pourtant, ce roman ne m'a complètement captivé. La faute à la seconde partie qui se déroule dans le milieu du cirque, un univers qui est loin de me passionner. A la suite d'un mauvais coup, les trois personnages filent à la recherche d'un cirque et se retrouvent dans une ville perdue des Etats Unis, quelques semaines avant le krach de 1929. S'en suivent descriptions sans fin d'un spectacle, complots et autres péripéties qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ajoutez à cela une certaine lourdeur de l'auteur, qui toutes les dix pages rappelle que le personnage d'Alvin est un malade en phase de rechute qui tousse et crache (mais étonnament personne ne se rend compte autour de lui, car il cherche à le cacher) qui a fini de me gâcher le plaisir immense de la première partie. Sachant que l'auteur a une trilogie en projet et que ce roman en est la première partie. Faisons le voeu que les deux prochains tomes quitteront le sinistre cirque et retrouvera la veine de la première moitié de ce roman, une partie très réussie et qui a les talents de ces turning pages roman, comme disent les Américains (les romans qu'on ne lâche pas). Nul doute qu'un lecteur moins allergique au cirque que moi passera un excellent moment du début à la fin.

Julia Franck Feu de camp Editions Flammarion

Conseillé par un libraire de mon quartier dont je poussai la porte pour la première fois, Feu de camp avait d'autres atouts pour me séduire : je garde un oeil bienveillant pour la littérature allemande contemporaine, l'Allemagne étant quand même le pays européen qui a fait son retour dans l'Histoire ces dernières décennies.
Ce roman là ayant pour toile de fond le Berlin du temps de la séparation de la ville en deux parties avait tout pour me plaire. Il commence très bien, par une scène particulièrement réussie, où une jeune femme Nelly Senff quitte l'est pour l'ouest avec ses deux enfants et un passeur qui joue à être son mari. Au moment de passer, elle est retenue par la police est allemande qui lui fait subir un dernier interrogatoire glaçant. Le lecteur est pris par un suspense. Elle passera la frontière comme l'indique la quatrième de couverture, mais ses ennuis seront loin d'être terminés. A l'époque, en effet, les « transfuges » étaient placés en camp d'observation, l'Ouest craignant l'infiltration d'agents venus de l'Est. Elle y croisera plusieurs personnes dans une ambiance très particulière, où le temps semble en suspension. L'ouest a des allures d'est, les personnes en transit partageant des appartements qui évoquent les appartements communautaires. De même, à la méfiance de la police orientale se substitue une sorte de méfiance de tous pour tous, car qui sait si le voisin n'est pas le traitre.
Le meilleur du roman est dans le mystère de son héroïne qui ne livrera pas son secret, la mort du père de ses enfants. Qui était-il ? Qui est-elle ? Quelles sont ses motivations ? Par moments, le livre évoque la vie des autres, quand un agent nord américain interroge Nelly se retrouve troublé par cette femme étrange, d'autant que son couple se décompose. Le montage parallèle des deux histoires est très réussi. Le reste du temps, le roman m'a semblé se perdre dans ses personnages secondaires et des intrigues elles aussi secondaires. L'auteure, qui est, dit-on journaliste, semble avoir voulu multiplier les personnages pour incarner plusieurs types de personnalités qui pouvaient se trouver dans de tels camps, sans que leur existence ne soit nécessaire au récit. Feu de camp est un bon roman classique qui rappelle une page d'histoire méconnue. On peut être tenté de dire qu'il n'est que ça, mais c'est déjà beaucoup.

John Burnside Scintillaiton Métaillé

Avec Burnside, c'étaient pour moi des retrouvailles attendues, je me souvenais avoir lu La maison muette il y a quelques années et avoir été ébloui et horrifié par ce roman hors norme, récit d'une expérience monstrueuse.
Quelques années plus tard, Scintillation produit le même effet, l'auteur ayant gagné en maîtrise, notamment dans la construction de ce roman qui semble se dérober à mesure qu'il progresse...et pourtant cette impression que le sol se dérobe est le carburant même du récit.
Dans la maison muette, deux jumeaux étaient enfermés dans une cave dès leur naissance, dans scintillation, ce sont de jeunes adolescents qui disparaissent à proximité d'une ancienne chimie à l'abandon, du côté de l'Intravaille, sorte de no man's land réservé aux plus misérables. Très vite, il apparaît que ces disparitions ne sont pas des fugues et que les adolescents sont l'objet d'un étrange rituel (la découverte d'un d'entre eux par le policier raté est une scène marquante).
Roman d'anticipation, l'intraville évoquant un futur d'après catastrophe industrielle ? Thriller, puisque le roman donne très vite la parole au policier déjà évoqué, un homme qui n'en sait pas trop, mais plus qu'il ne peut le dire. Ni l'un, ni l'autre. Car bientôt, le roman suit Léonard, un des jeunes hommes de l'Intraville. Léonard est singulier et partagé entre deux jeunes filles, à l'écart des différentes bandes qui règnent sur l'intraville. Solitaire, il a pour habitude d'erreur du côté de l'Intraville où il rencontre l'Homme papillon. En suivant Léonard, le roman emprunte une nouvelle voix (joli lapsus que j'ai fait là, je le laisse, c'est de nouvelle voie que je voulais parler) à tel point qu'un temps on se demande si le récit n'a pas changé, mais non, la tragédie est là au bout. D'ailleurs est ce vraiment une tragédie ? Car Léonard l'écrit : « Parce que je savais que, si j'avais ma place où que ce soit, c'était là. Pas au sein de leur bande, mais parmi les éclairs et le tonnerre. La pluie noire. Le métal froid. Le ciel. » Burnside est un poète écossais primé dans son pays, cela ne vous surprendra sans doute pas.
Difficile d'en dire davantage, sans craindre d'en écrire trop. Contentons nous d'évoquer un livre qui, au fil des pages, donne l'impression que le sol se dérobe, qui fissure le bien et le mal, qui raconte le pire, sans jamais sombrer dans le gore. Le personnage le plus cultivé du roman, sera aussi celui qui commettra un crime pour libérer un pauvre hère pris attaqué par une bande d'adolescent décidé à venger leurs amis disparus et organisant un lynchage d'une grande violence. C'est un roman où adultes et enfants sont tous abandonnés, où les couples se déchirent, les parents s'éteignent peu à peu, où « on se lasse bel et bien de soi même, se dit-il et pour peu qu'on n'arrive pas à trouver autre chose à quoi s'intéresser, ça devient drôlement fastidieux d'être humain. »
A se demander si la scintillation du titre n'est pas celle de l'étincelle de vie fragile dans un monde hostile. Un grand roman qui emprunte la forme d'un conte existentiel pour les adultes n'ayant pas peur d'affronter les gouffres des âmes perdues.

Dimitri Nortnikov Repas de mort Allia

Une fois n'est pas coutume, l'espèce de communiqué de presse joint à ce livre ne mentait pas : voici un objet littéraire non identifié. Avis aux amateurs d'expériences, prêts à être déboussolé par un livre qui n'est ni roman, ni poésie... Le patronyme russe de l'auteur donne envie de céder à la facilité et d'évoquer une sorte de harangue plus ou moins alcoolisée d'une âme russe qui essaie de retenir du côté de la vie des âmes mortes ou sur le point de l'être « Toute la vie on cherche... Quelqu'un. Qui nous vivra après. Qui après notre mort recueillera notre âme. Quelqu'un devant qui t'as pas honte de crever. Quelqu'un à qui tu feras confiance quand il te dira -T'es mort »
Celui qui parle s'appelle Dim - on imagine être le raccourci de Dimitri – vit du côté du Père Lachaise, arpente les steppes russes, et déclame une sorte de long poème en prose, où il est beaucoup question des morts. A commencer par la mère du narrateur, qui décède au début du texte, alors que ce dernier s'adonne à quelque plaisir solitaire. Mais les péripéties du récit importent finalement moins que la langue de l'auteur : « Les cheveux gris de ma mère. Cordes déchirées. Fils de vie déchirés. Je la vois peigner ses cheveux. Je la vois de très loin, je la vois de si loin qu'il me semble qu'elle joue avec ses cheveux. Ces cordes. Elle joue sur les cordes de ses cheveux. J'entends la petite musique ».
Au fil des pages, pourtant, la petite musique de Nortnikov peu lasser. Langue syncopée, reposant sur des répétitions, avançant par à coups - pour mieux retranscrire le chaos métaphysique du monde ? - on en arrive à se demander si Nortnikov n'est pas pris du syndrôme qui consiste à faire du style pour le style. De s'agacer de l'obsession mortuaire et sexuelle du livre, où les putes, comme écrit l'auteur sont omniprésentes, pour rappeler que le sexe et la mort sont l'avers et le revers de la condition humaine, une sacrée découverte. On baise et on meurt dans ce texte.
Et de me poser cette question : quand un ensemble de tics devient ce qu'on appelle un style ? Et celui-ci n'est il que ces affèteries, à commencer par cette ennuyeuse habitude de commencer certains paragraphes par un tiret qui remplit le tiers de la ligne ? Est-on poète parce qu'on prend un nom commun et qu'on en fait un verbe ? Exemples : je baluchonne (page 176) je transe (p181) « Ténoriser la vie » « Et quand tu tristais mon fils » (page 171) et j'en passe qui m'ont bien « spasmé » (parce que moi aussi je peux le faire na !)
Reste que, pour moi, un texte qui me heurte et me conduit à m'interroger, ne peut pas être complètement mauvais. Incontestablement, il y a là un talent poétique, une capacité à créer du lyrisme avec des phrases courtes, sans verbe. Repas de mort se savoure à petite dose, plus que d'une traite.
« Elle me dira et je regarderai, oui, jusqu'au bout je lirai sur ses lèvres. Jusqu'au bout. Tu n'as pas d'amour en toi, tu n'as que la mort en toi, et t'as peur, peur, car mourir est plus en avance qu'aimer. »
Si cet extrait vous laisse insensible, passez votre chemin. Dans le cas contraire, tentez votre chance, vous serez sûrement parfois agacé par ce texte âpre et encore plus sûrement parfois ébloui par cette prose pas comme les autres. A objet littéraire non identifié, difficile d'avoir une réaction clairement identifiable ….

Galveston Nic Pizzolatto Belfond

Voilà un vrai faux polar, comme les auteurs américains savent les faire. Soit l'histoire d'un petit voyou sans grande envergure, qui apprend de son médecin qu'il est condamné par un cancer des poumons. «UN MEDECIN A PRIS DES PHOTOS DE MES POUMONS. Ils étaient pleins de rafales de neige. », c'est ainsi que commence le roman. Telle est la voix de Roy Cady, le narrateur.
Autant dire que le anti-héros est fatigué,très fatigué. Un vrai looser : sa petite amie l'a plaquée pour rejoindre le chef de la bande, qui confie au narrateur une drôle de mission : il lui demande d'aller donner une raclée à un type pas très recommandable, mais précise-t-il, sans arme. Le guet appens se referme : sur place, Roy tombe dans un piège ou il rencontrera Rocky, une jeune prostituée.
A partir de ce début ultra classique, Pizzolatto fait entendre sa singularité. Car si les deux personnages, deux grands blessés de la vie à l'enfance ravagée (bienvenue dans l'Amérique des loosers), fuient sur les routes pour échapper aux représailles de la bande de voyous. Ils sont bientôt rejoints par la petite soeur de Rocky (enfin elle dit que c'est sa petite soeur, et s'il y a un lecteur pour y croire, il est encore plus naïf que moi).
Là où le roman devient intéressant, c'est que cette fuite est aussi et surtout une fuite contre le temps (car après la fuite, ils se réfugient à Graveston, une station balnéaire texane) changeant très vite la nature du suspense. Ce n'est plus tant un suspense de roman policier que sentimental et existentiel : Roy et Rocky peuvent-ils s'aimer, l'un ayant largement l'âge d'être le père de l'autre, l'un étant condamné, l'un étant maître de la situation bien que diminué physiquement, quand l'autre fait preuve d'une immaturité permanente mettant les deux personnages en danger perpétuellement ou presque ? Sur cette plage, dans le motel où les fuyards ont trouvé refuge, le temps semble s'être arrêté. Pizzolatto leur fait alors rencontrer les autres habitants du motel. Il en profite aussi pour revenir sur le passé de Roy, la visite rendue à son amour de jeunesse (par un homme qui croît qu'il va mourir, rappelons le) est une totale réussite.
Très vite (au bout d'une centaine de pages), l'auteur tisse un troisième suspense. A la narration immédiate, il superpose une sorte de vingt ans après où Roy a toujours la parole. Rangé des voitures, il travaille dans un motel, il s'en est visiblement sorti, terrassant le cancer et repoussant la mort promise.. C'est un petit monsieur gris qui passe ses journées entre travail et promenades avec son chien. Sauf qu'il est à nouveau recherché par un type louche.
La structure du roman est la vraie réussite de ce livre. Quant à l'écriture (la traduction), elle est d'une grande finesse. Presque classique, avec une pointe de lyrisme qui ne sombre jamais dans la grandiloquence. Ecrit à la première personne, on retrouve tout ce qui fait le succès des romans américains : cette capacité à saisir l'instant et à accompagner l'action au plus près. En l'occurrence cela s'accompagne de réels bonheurs d'expression, poétique sans pathos. « Elle avait allongé les jambes tout en tassant le sable mouillé, et comme j'avais du mal à ne pas la regarder je me suis mis à chercher des choses sur la plage. Un petit massif de genêts où brillait un objet. Deux gamins replets qui couraient dans les vagues. Des mouettes qui se laissaient porter par des courants ascendants effectuaient des piquets soudains pour écumer la surface de l'eau avec leur bec... »
Le livre n'échappe pas à quelques clichés. Par exemple, le héros looser boit forcément beaucoup de whisky, le narrateur ayant décidé qu'à l'heure où la mort approche, un verre de plus ou de moins n'y changera rien.. à tel point que le lecteur pourrait attraper lui aussi la gueule de bois rien qu'en lisant ce roman. De même, sur la fuite de deux personnages à travers le Sud des Etats-Unis, sur la violence sociale, et sur la violence tout court. Reste que l'ultime coup de théâtre m'a cueilli, je n'ai rien vu venir (mais bon je peux être bon public) et après de nombreuses pages difficiles, l'auteur laisse une chance non pas de rédemption, ce serait trop facile, mais des raisons d'espérer. Le contexte, aussi cruel et difficile soit-il, ne détermine pas les êtres, nous dit-il, et il est toujours possible de s'échapper des pires circonstances. Et sans jamais sombrer dans la cul culterie. Pour un premier roman ça rend très impatient du suivant...

Pablo Sorrentino Ils ont tous raison Albin Michel

Meilleur roman 2011
Si Pablo Sorrentino n'a aucun prix littéraire, ce sera une confirmation : les jurés professionnels ne savent pas lire. L'auteur s'en consolera. Il est cinéaste, et a été primé à Cannes pour Il divo. Et avouons-le, il a de quoi énerver car c'est aussi un très très bon écrivain. Beaucoup de talent pour un seul homme, je suis jaloux !
Ils ont tous raison ou l'histoire d'un chanteur de charme napolitain Tony Pagoda dans l'Italie des années 50. Un héros fantasque et fanfaron, qui aligne les côtés détestables et qui pourtant est attachant : sous coke toute la journée, il passe son temps à coucher avec les femmes qu'il croise : un macho, un vrai, qui trompe sa femme et peut être physiquement violent. Menteur aussi. A plusieurs reprises, il évoque la prison où il est allé, sans insister sur les causes. Bref la totale du type pas vraiment recommandable.
Et pourtant, Tony sera votre ami, car il sait raconter des histoires comme personne. Qu'il évoque sa rencontre avec Franck Sinatra, se fasse voler une bague de valeur à l'issue d'une partouze new yorkaise, évoque l'amour de sa vie, se trouve mêlé à un règlement de comptes entre rivaux mafieux, ou révèle son dépucelage par une vieille aristocrate napolitaine qui croît aux fantômes. Avec lui, tout passe mêmes les histoires les plus invraisemblables, car celui qui tient la plume sait y faire.
« J'avais enfin trouvé, vieil auteur de rimes que je suis, un rythme de dialogue, le seul bon remède pour la santé », explique Tony Pagoda. Un jugement que partageront tous les lecteurs de ce livre.
Prenant conscience de la vacuité de sa vie, un jour que sa femme lui demande le divorce et qu'il déprime après avoir vu une table de nuit vide, Tony Pagado part pour le Brésil, car à quoi bon vivre dans un pays où l'on mange des pâtes à la vodka ? Il part à la recherche de « l'idée d'une vie simple, qui nous a totalement échappé ensuite. Et notre existence n'a plus été qu'un méli mélo nul, archi nul. » Et de poursuivre : « on se croyait complexes, on avait juste dégringolé dans la complication. » Bientôt, il se réfugie à Manau, le pays des cafards, un enfer où pourtant il découvrira une forme de sagesse, et aussi l'occasion d'une évocatio de Fitzcaraldo, ce chef d'oeuvre du cinéma , avec une scène à l'Opéra qui se termine dans les favellas... Ultime partie du roman : le héros regagne son Italie, qui n'est pas la plus réussie. Car Tony Pagoda ne peut pas se taire comme ça...
Vous l'aurez compris Tony Pagoda est un conteur né, un vrai roi de la digression, de l'invention avec un humour décapant, un regard lucide et acide sur les mesquineries du monde, qu'il connaît d'autant mieux qu'il les partage.. Dans le genre géniale digression, le récit de l'oppositon entre le cousin, avocat hyper obèse et angoissé (il appelle tout le monde deux mois à l'avance pour être sûr qu'on lui souhaite son anniversaire) et son beau frère, procureur complexé par sa petite taille a des allures de lutte quasi mythologique entre le bien et le mal, avec des armes surprenantes.
Autant le dire, Ils ont tous raison n'est pas toujours de bon goût, si le bon goût s'entend comme la porcelaine et la dentelle, mais il a toujours le ton juste et un sens du burlesque. Ceux qui aiment les miniatures précieuses risquent d'avoir du mal à apprécier ce bon gros roman roboratif qui ose tous les excès, mais pratique aussi toutes les nuances, nuances dont l'éloge est fait dans le prologue. C'est surtout un roman qui dresse une série de portraits, de l'aristocrate radine, au vieux prof de musique qui joue du Bach, à l'amie du narrateur fâchée avec sa belle-soeur parce que son neveu a pissé sur son canapé, sans oublier des personnages secondaires qui existent en quelques phrases (la vieille soeur du maître de musique ou Bella, la femme d'Alberto, l'ami que Tony rencontrera au Brésil). Ce faisant, Sorrentino dresse un portrait de l'Italie des années 50 à nos jours, mais plus encore, un portrait de l'humanité. Tous nos défauts modernes sont pointés, à commencer par notre rêve d'une éternelle jeunesse.

Ceux qui adorent les comédies italiennes d'hier, ceux qui aiment les récits baroques, les digressions géniales, les raconteurs d'histoire vont adorer ce roman dont on nous dit qu'il a été un succès en Italie. Une très bonne nouvelle sur la santé de ce pays.

Mario Tobino Trois amis Plon feux croisés

De Mario Tobino je ne savais rien. L'éditeur nous apprend qu'il est né en 1910, mort en 1991, très populaire en Italie, son pays natal (en même temps le jour où un éditeur prétendra publier le livre d'un obscur romancier sur une quatrième de couverture... ) pour son oeuvre « d'inspiration largement autobiographique ».
Comme son titre l'indique, trois amis raconte les liens entre Turri, Campi et Ottaviani. Le narrateur est le seul rescapé de ce trio constitué à l'Université. Les trois jeunes hommes sont alors étudiants en médecine, animé par un idéal de fraternité qu'ils pensent trouver dans le communisme.
S'en suit une évocation de la vie sous le facisme, mais surtout une histoire des uns et des autres pendant la seconde guerre mondiale, vu d'Italie, une histoire que je connaissai finalement peu. L'un des trois mourra torturé ce qui donne l'occasion d'une belle évocation sur l'attitude des paysans du coin qui sortiront leur plus beaux habits pour honorer les morts. Puis la guerre se terminant, Turri deviendra député communiste et dès le début des années 50 quittera le puissant PCI, plus inquiet de défendre les intérêts de l'URSS que ceux des humbles.
« Je n'écris pas un roman, j'écris ce qui presse en moi, une anticipation avant ce qui est dû » explique le narrateur qui prétend écrire au fil de ses souvenirs comme ils lui viennent. Une déclaration d'intention qui ne marche pas vraiment et qui plombe un peu le livre par des redites parfois pénibles.
De plus, s'il s'agît de vrais souvenirs juste transposés, j'aurai nettement préféré un roman autobiographique qui s'assume pleinement. Cela aurait été plus intéressant. Car les deux amis du narrateur, qui reste plutôt discret sur ses faits et gestes notamment pendant la guerre, sont des héros trop purs pour arriver à exister par les mots. La vision est trop idéalisée entre le courageux Campi qui résistera jusqu'au dernier souffle et le chef adoré de ces hommes qu'est Turri, dont le seul défaut en gros est de ne pas être un tribun – ce qu'on appelle un beau parleur. Autrement dit, ce roman a un côté hagiographique qui rend les personnages peu crédibles, alors qu'ils sont inscrits dans l'histoire.
Reste un témoignage sur l'histoire italienne loin d'être inintéressant et des à côtés que j'ai aimé : la vie matérielle d'un jeune médecin psychiatre dans l'Italie des années 30 à 50, les concours, le monde hospitalier.

Ingrid Thobois Sollicciano Zulma

D'abord un hommage à la forme et à Zulma dont les livres sont si beaux, avec ses graphismes originaux et les textes toujours bien choisis, celui-là ne fait pas exception. Dans le résumé fourni par l'éditeur dans le rabat interne, on convoque Hitchcock et Mankiewicz, c'est plutôt le Raul Ruiz de Généalogie d'un crime que m'évoque ce roman d'Ingrid Thobois.
Au centre du récit, une femme mystérieuse au passé trouble. Elle s'appelle Norma-Jean et semble partager certains des troubles de son illustre homonyme.
Que lui est-il arrivée, quand encore adolescente, elle avait pour petit ami un marin ? Devenue adulte, elle est devenue professeure de philosophie, a épousé son psychanalyste et après qu'un de ses élèves a tué sa fiancée volage en plein amphithéâtre, elle part le suivre et le visite régulièrement en prison en Italie, à Sollicciano justement. Quelles sont ses motivations ? Que revit-elle avec ce jeune assassin ?
La progression de l'intrigue n'est pas linéaire, elle alterne les époques, de la jeunesse de l'héroïne à son âge adulte et multiplie les points de vue. Arrivé, le lecteur en saura un peu plus sur Norma Jean, dont le mystère restera pourtant entier. La construction du roman pourtant réussit à créer un vrai suspense, comme savent le faire les meilleurs best sellers, tout en entamant une réflexion sur la souffrance, la normalité (quand le psychanalyste se retrouve interné à Saint Anne, après avoir retrouvé son appartement vidé), l'amour (drôle de couple que celui formé par l'héroïne et son psy de mari). De très belles pages sur l'amitié entre hommes avec le personnage de Karl, meilleur ami de Jean le psychanalyste.
Une romancière à suivre et un faux polar avec vue sur les abîmes des êtres .

Du temps qu'on existait Marien Defalvard Grasset

371 pages
prix : trop cher
978-2-46-78738-9


D'abord se retenir, ne pas faire son malin avec le prénom de l'auteur, ce Marien qui appelle un fatal « ça riMARIEN ce livre », trop facile, forcément trop facile. Alors dire la vérité d'emblée : je n'en ai lu que plus de 100 pages sur les 400 publiées sachant qu'à l'origine il en faisait beaucoup beaucoup plus. L'auteur est jeune et vit à Orléans. Où l'on a une idée de la pauvreté de la vie en province (pas de rock ? Pas de jeunes avec qui boire le soir en parlant de Britney Spears ? Les jeunes gens sont réduits à passer leur soirée à écrire des livres de 1000 pages. A vous faire douter du bien fondé de l'éducation pour tous). Non c'est trop facile et je n'ai pas eu la force d'aller jusqu'au bout.
A ma connaissance très relative, cela fait maintenant un siècle environ que Proust et Sainte Beuve s'opposèrent sur la meilleure façon de juger une oeuvre. Le gagnant, Marcel, pour ce qu'on m'apprît dans ma province à moi, refusait que la biographie de l'auteur soit de quelque façon mobilisée pour comprendre l'oeuvre. Le métier du critique est de parler du texte, rien que du texte en se moquant de la vie de l'auteur. En l'espèce, l'histoire que vous sert tous les journaux en vous expliquant qu'il a 18 ans ou à peine plus, qu'il a écrit son livre vers 16 ans (quand on pense que d'autres qui venaient d'avoir 18 ans séduisaient Dalida) et que son éditeur, le très élégant Charles Dantzig qui croit avoir trouvé la réponse à la question « pourquoi lire ? » entre le faubourg saint germain et les soldes du bon marché, a reçu mille pages de ce jeune homme à mèches (on en regrette Sacha Sperling et florian zeller réunis c'est dire, et même Lolitta Pille, c'est dire *2) par la poste et blablablabla..
en un mot, Marcel Proust nous l'a dit : « on s'en fout de ta vie de scribouillard. Donne nous ton livre, rien que ton livre... » Il aurait pu être livré par un valet en livrée ou une strip teaseuse du crazy horse ça ne changeait rien sur la qualité de ce qui finit entre nos mains, ou sur notre tête, quand d'ennui nos nerfs ayant lâchés, le sommeil a gagné et le pavé choit sur notre visage parti vers le pays des rêves.
Car de quoi parle-t-on ? D'une sorte de pastiche prousto baudelairienne avec des inspirations huysmanniennes, dont l'intérêt en ce début de vingt et unième siècle laisse pantois. Parlerait on encore de Proust si l'asthmatique buveur de tisane dans laquelle il plongeait des madeleines avait écrit un sorte de pastiche d'Alfred de Vigny ?
Chez Defalvard, donc on écrit comme une bourgeoise rance des années 60 devait l'apprécier. Avec de formules lourdingues qui font littéraire. Ça on est chez les riches, la cuisine est au beurre, et les principes sont aussi lourds que les tentures épaisses qui tentent vainement de dissimuler l'ennui de vies corsetées. Alors, Madame lit un peu, ça lui donne un genre, mais pas trop parce que les artistes sont dangereux. Là, avec Defalvard, Monsieur peur dormir tranquille, elle ne risque rien qu'un peu plus d'ennui, qui à force pourrait lui donner des idées. On sait comment finissent les Bovary.
Toutefois, et c'est positif, Madame pourra enrichir son vocabulaire et s'adonner au rythme ternaire. En effet, le mot rare est prisé, tant mieux pour les éditeurs de dictionnaires, et l'adjectif se promène souvent en trio. Roboratif, épuisant vain. Ça donne des phrases du genre : « tout était rustique à souhait ; (car on sait mettre des points virgules) et l'intérieur des bois était chaud et noir , avec de rares traînées lumineuses comme pendant les orages, comme avant ». ou celle là que j'aime beaucoup page 108 (peu de temps avant que j'arrête) : « le froid mordait, il était mordicant ; (encore un point virgule) mordant même ». Génial quand le froid mord, il est mordant. Et dans l'autre sens ça marche aussi « le froid mordait, il était mordant ; mordicant même » Un vertige vous dis-je...
Ah oui, j'ai oublié d'évoquer l'intrigue : un vieux revenu de tout raconte ses souvenirs. Il n'a jamais guéri de son enfance, le bonheur c'est la maison que ses parents possédaient, du côté de Saclay si j'ai bien compris. Ayant la chance d'être riche il a passé son temps à errer de ville en ville comme un forain chez Demy, la joie en moins. Par contre, comme les forains, il est gai, enfin gay, un mot que le narrateur n'aimerait sûrement pas, (déjà il note à regret que dans les années 70 on parlait de dancing, même Jean Dutourd ne s'en est jamais plaint).
C'est à Strasbourg qu'il découvre son goût pour les hommes. Le narrateur y traine dans une sorte d'hôtel boîte glauque. Et là, bien sûr il croise un type (je ne sais pas s'il l'a finalement pécho, parce que j'ai arrêté avant) qui l'attire. Le métier de ce jeune alsacien ?? « Il avait exercé une profession hélas peu connue (tout est dans le hélas, vous allez voir quand vous saurez ce qu'il fait), il avait travaillé dans la dominoterie, il coloriait les planches, les cartes de jeux de société, les petits chevaux, le Scrabble, le Monopoly, le Mille bornes. « Mais c'était devenu insupportable. L'avenue Matignon... Mot compte triple... Increvable.. je voyais tout en cartes, c'était affreux. Ma bouchère c'était la Dame de Pique. Non vraiment... AH et puis les dominos ! Tragédie, tout ça, tragédie ! » Il avait l'air vraiment très triste. J'étais un instant comme un autre, peut-être, avec un faible coeur ».
C'est là que j'ai fermé. Tragédie ? Je ne sais pas mais ennui, pédanterie et forfanterie (toujours par toris christophe, ça fait littéraire, intelligent et sournois, oui le troisième adjectif doit toujours surprendre, dérouter, démarcher (c'est pareil avec les verbes). Félicitons d'abord notre jeune auteur pour avoir retrouvé un métier que ni Jean Pierre Pernault, ni Houellebecq et son narrateur dans la carte et le territoire n'ont évoqué. C'est un joli exploit.
Si quelqu'un veut bien me raconter la suite.. je suis preneur parce que le drame du dominotier m'a fait rire, puis bailler ferme et j'ai fermé le livre.
Pendant une demie seconde, j'ai plaint Charles Dantzig qui, lui, s'est tapé les mille pages du manuscrit. Etre éditeur à saint germain des prés c'est pas tous les jours facile. En plus faut déjeuner avec des critiques littéraires après, leur faire croire qu'on a découvert un génie et alors que tout le monde bronze vulgairement ce que Charles Dantzig ne fait pas car il n'est pas vulgaire, être pris d'angoisse à l'idée que le coup ne marchera pas.. que le mordicant lassera et la dominoterie décrochera des mâchoires. L'été à Deauville, la souffrance atteint des niveaux incandescents, brutaux et chevallins. J'en suis arrivé à penser à l'époque où Julliard découvrait Sagan et Cocteau Radiguet. J'ai pensé que, comme le narrateur et beaucoup de monde, c'était mieux avant. Mais bon on n'arrête pas le progrès : avant, la valeur n'attendait pas le nombre des années. Grâce à Defalvard, on sait désormais que la boursouflure non plus.