samedi 21 janvier 2012

Stéphane Hoffmann Les autos tamponeuses Albin Michel

Pour ceux qui comme moi ont plus de 40 ans, le roman de Stéphane Hoffman m'a rappelé un autre de Jacques Laurent (ce qui ne devrait pas déplaire à l'auteur), l'inconnu du temps qui passe, qui avait la même liberté formelle que celui là et une même qualité française. Dans les auto tamponeuses Je pense à la scène écrite sous forme de pièce de théâtre dans le dernier quart du roman, scène de comédie qui s'intercale dans le roman. Ou ce passage, où s'en prenant au principe de précaution, Hoffmann cite un extrait de Proust, y intercalant tous les messages de précaution qu'il faudrait y mettre aujourd'hui. Assez convenu dans sa critique, le passage garde un pouvoir comique.
Les autos tamponneuses sont pour le narrateur une métaphore du mariage. Sorti d'une grande école, il épouse une riche héritière, fille d'un homme d'affaires qui s'est fait tout seul et qui devient son ami. A partir de là, le mari et la femme vivront à distance, se croisant le week end. Le roman commence quand Pierre, le mari et narrateur, décide de partir en retraite, las des affaires, et revient s'installer aux côtés de sa femme. Comme on est chez les riches, à côté c'est dans une aile de la propriété du Golfe de Morbihan. Une idée qui ne plaît pas à la dame. Sur cette trame, se greffent quelques histoires secondaires qui sont l'occasion de railler la vie bourgeoise de province et de tirer au bazooka sur les uns et les autres. Parfois (rarement), Hoffmann émeut, quand Pierre et le fils du voisin partent en bateau. Antoine (le fils du voisin) était aussi l'ami d'Alain, le fils de Pierre mort dans un accident de bateau, ce qui donne de belles pages. A l'inverse, la fin sur le travail de deuil évoque un Paulo Coehlo pour Figaro Magazine : « Sauf qu'après la mort d'Alain, j'ai fait semblant. Le bonheur ,c'est n'est pas de ne pas avoir de problèmes ; le bonheur est de pouvoir résoudre les problèmes qu'on a ».
Autant le dire, l'intrigue n'intéresse pas Hoffmann. Car l'intrigue c'est en gros n'importe quoi, avec des coups de théâtre que Katherine Pancol n'oserait pas (le retournement final est ridicule ; on n'imagine pas mari et femme aussi étranger l'un à l'autre, sur le naufrage d'un mariage, mieux vaut lire le dernier roman de Benjamin Berton ; sans parler de l'intrigue secondaire digne d'un feuilleton d'été de tf1, le boucher du marché réussira-t-il à sauver son activité de la faillite ?).
Ce qui intéresse Hoffmann, c'est de distiller, par la bouche de son personnage, ses avis sur le temps moderne, le bonheur d'un cigare ou la cuisson réussie d'une viande. Un certain raffinement prévaut. Le monsieur n'est pas un progressiste, on sent son amour pour les Hussards qui firent les belles heures de la littérature des années 50. Quand son héros parle de notre époque ce n'est pas pour en dire du bien. Par moments on a l'impression d'être chez l'humoriste Laurent Gerra qui aime railler le nouveau cinéma et la nouvelle chanson française, aux idées forcément préconçues. « Paris est une capitale comme un travesti est une femme », note notre auteur, qui s'en prend aux « chanteurs à bonnets » ou encore aux actrices qui militent pour les droits de l'homme en signant des contrats avec de grands noms du luxe. C'est gênant quand on pense que l'auteur pense être iconoclaste et qu'il reprend les scies de l'humoriste le plus écouté de France, si on en croît les publicités de RTL. La première phrase du roman est emblématique de ce goût pour une certaine trivialité : « Bien que bordelais Jean Charles Lawton ne répugne pas aux concours de prouts. A cinquante ans bientôt c'est même l'idée qu'il se fait de bons moments entre amis. » On sent toute la force de la subversion que cette image a pour l'auteur.
A d'autres moments, il évoque plutôt la tradition du bon mot, à la Sacha Guitry et autres Tristan Bernard, qui réjouira les amateurs du genre (les fidèles auditeurs des grosses têtes pourront envoyer les citations, si Philippe Bouvard continue de proposer à ses sociétaires ce genre d'énigme). Le mariage est une source d'inspiration inépuisable « j'avais toujours considéré Hélène comme une plante d'appartement ; c'est-à-dire que je ne l'avais jamais considérée. Là je la regarde vivre. C'est plus que distrayant ; c'est fascinant » ou « dans un couple, il n'y a pas de place pour deux ».
Dans l'affreux jojo, il peut exceller, n'hésitant pas à y aller carrément comme dans cette description : « elle est de ces femmes péremptoires dont on se dit qu'elle sera fréquentable après son premier cancer, c'est-à-dire après qu'il lui sera arrivé quelque chose qui la fera douter d'elle même et s'agenouiller devant une pâquerette en balbutiant que la vie est merveilleuse. En attendant, elle est d'une assurance fatigante ».
Un certain goût pour la provocation qui l'amène à franchir les limites du tolérable, quand il prête à un des personnages, une aristocrate sur le retour, les propos suivants : «  Ainsi à une dame lui ayant confié, d'ailleurs modestement et comme en passant, que ses parents étaient morts à Auschwitz : « Hum ! Mais c'est très chic ça ! » avait-elle répondu, avant d'ajouter que si elle-même faisait la liste de sa parentèle disparue de mort violente depuis les croisades, on serait encore là demain : « il n'y a vraiment pas de quoi se vanter, ma chère ! » et elle lui avait tourné le dos laissant son interlocutrice interloquée. » (page 195)
Rire de tout mais pas avec n'importe qui, disait Desproges. Pour ma part, j'ai vu un rictus et entendu des ricanements.. et je n'ai pas du tout eu envie de rire. Sûrement contaminé par l'esprit de l'époque et par ce que Louis Pauwels, un autre humoriste incompris, appelait le « sida mental ». Tant mieux !

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