Voilà un vrai faux polar, comme les auteurs américains savent les faire. Soit l'histoire d'un petit voyou sans grande envergure, qui apprend de son médecin qu'il est condamné par un cancer des poumons. «UN MEDECIN A PRIS DES PHOTOS DE MES POUMONS. Ils étaient pleins de rafales de neige. », c'est ainsi que commence le roman. Telle est la voix de Roy Cady, le narrateur.
Autant dire que le anti-héros est fatigué,très fatigué. Un vrai looser : sa petite amie l'a plaquée pour rejoindre le chef de la bande, qui confie au narrateur une drôle de mission : il lui demande d'aller donner une raclée à un type pas très recommandable, mais précise-t-il, sans arme. Le guet appens se referme : sur place, Roy tombe dans un piège ou il rencontrera Rocky, une jeune prostituée.
A partir de ce début ultra classique, Pizzolatto fait entendre sa singularité. Car si les deux personnages, deux grands blessés de la vie à l'enfance ravagée (bienvenue dans l'Amérique des loosers), fuient sur les routes pour échapper aux représailles de la bande de voyous. Ils sont bientôt rejoints par la petite soeur de Rocky (enfin elle dit que c'est sa petite soeur, et s'il y a un lecteur pour y croire, il est encore plus naïf que moi).
Là où le roman devient intéressant, c'est que cette fuite est aussi et surtout une fuite contre le temps (car après la fuite, ils se réfugient à Graveston, une station balnéaire texane) changeant très vite la nature du suspense. Ce n'est plus tant un suspense de roman policier que sentimental et existentiel : Roy et Rocky peuvent-ils s'aimer, l'un ayant largement l'âge d'être le père de l'autre, l'un étant condamné, l'un étant maître de la situation bien que diminué physiquement, quand l'autre fait preuve d'une immaturité permanente mettant les deux personnages en danger perpétuellement ou presque ? Sur cette plage, dans le motel où les fuyards ont trouvé refuge, le temps semble s'être arrêté. Pizzolatto leur fait alors rencontrer les autres habitants du motel. Il en profite aussi pour revenir sur le passé de Roy, la visite rendue à son amour de jeunesse (par un homme qui croît qu'il va mourir, rappelons le) est une totale réussite.
Très vite (au bout d'une centaine de pages), l'auteur tisse un troisième suspense. A la narration immédiate, il superpose une sorte de vingt ans après où Roy a toujours la parole. Rangé des voitures, il travaille dans un motel, il s'en est visiblement sorti, terrassant le cancer et repoussant la mort promise.. C'est un petit monsieur gris qui passe ses journées entre travail et promenades avec son chien. Sauf qu'il est à nouveau recherché par un type louche.
La structure du roman est la vraie réussite de ce livre. Quant à l'écriture (la traduction), elle est d'une grande finesse. Presque classique, avec une pointe de lyrisme qui ne sombre jamais dans la grandiloquence. Ecrit à la première personne, on retrouve tout ce qui fait le succès des romans américains : cette capacité à saisir l'instant et à accompagner l'action au plus près. En l'occurrence cela s'accompagne de réels bonheurs d'expression, poétique sans pathos. « Elle avait allongé les jambes tout en tassant le sable mouillé, et comme j'avais du mal à ne pas la regarder je me suis mis à chercher des choses sur la plage. Un petit massif de genêts où brillait un objet. Deux gamins replets qui couraient dans les vagues. Des mouettes qui se laissaient porter par des courants ascendants effectuaient des piquets soudains pour écumer la surface de l'eau avec leur bec... »
Le livre n'échappe pas à quelques clichés. Par exemple, le héros looser boit forcément beaucoup de whisky, le narrateur ayant décidé qu'à l'heure où la mort approche, un verre de plus ou de moins n'y changera rien.. à tel point que le lecteur pourrait attraper lui aussi la gueule de bois rien qu'en lisant ce roman. De même, sur la fuite de deux personnages à travers le Sud des Etats-Unis, sur la violence sociale, et sur la violence tout court. Reste que l'ultime coup de théâtre m'a cueilli, je n'ai rien vu venir (mais bon je peux être bon public) et après de nombreuses pages difficiles, l'auteur laisse une chance non pas de rédemption, ce serait trop facile, mais des raisons d'espérer. Le contexte, aussi cruel et difficile soit-il, ne détermine pas les êtres, nous dit-il, et il est toujours possible de s'échapper des pires circonstances. Et sans jamais sombrer dans la cul culterie. Pour un premier roman ça rend très impatient du suivant...
samedi 21 janvier 2012
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